Impact de l’élection de Trump sur l’Allemagne et l’Europe
Décisions initiales de Donald Trump en politique étrangère et commerciale : Dès son arrivée au pouvoir en janvier 2017, le président Donald Trump a rompu avec l’approche multilatérale de son prédécesseur. Il a annoncé le retrait des États-Unis de plusieurs engagements internationaux : abandon du partenariat transpacifique (TPP) dès sa première semaine de mandat, gel du projet de traité de libre-échange transatlantique (TTIP) avec l’UE, et retrait de l’Accord de Paris sur le climat quelques mois plus tard . Sur le plan migratoire, Trump a décrété une interdiction d’entrée visant les ressortissants de certains pays musulmans, décision vivement critiquée en Europe pour son caractère discriminatoire. En politique de sécurité, il a tenu un discours déstabilisant vis-à-vis de l’OTAN, qualifiant l’Alliance d’« obsolète » et reprochant aux alliés leurs insuffisances budgétaires. Il a notamment affirmé que l’Allemagne « doit d’énormes sommes d’argent » à l’OTAN et aux États-Unis pour sa défense, provoquant une fin de non- recevoir de Berlin . Parallèlement, Trump a adopté une posture plus unilatérale et protectionniste en matière commerciale : il n’a pas hésité à menacer d’instaurer de lourds tarifs douaniers sur les importations, ciblant tout particulièrement l’acier, l’aluminium et l’industrie automobile européennes . Ces premières mesures ont marqué une rupture nette avec la diplomatie américaine traditionnelle, créant un climat d’incertitude pour les alliés européens .
Conséquences sur les relations transatlantiques et les intérêts allemands : Les décisions de Trump ont rapidement tendu les relations transatlantiques et touché des intérêts vitaux de l’Allemagne. Sur le plan sécuritaire, ses déclarations ambiguës sur l’article 5 de l’OTAN (défense collective) et ses critiques des alliés européens ont fait craindre un désengagement américain du parapluie sécuritaire en Europe. Berlin, qui compte traditionnellement sur l’alliance avec Washington pour sa défense, s’est retrouvée mise en cause publiquement pour ses dépenses militaires jugées insuffisantes . Ce climat a poussé l’Allemagne à envisager d’accélérer la hausse de son budget de défense afin de « payer plus pour [profiter] du parapluie protecteur de l’OTAN », selon les mots de Trump . Sur le plan économique, l’Allemagne – première économie exportatrice d’Europe – est directement visée par le tournant protectionniste américain. La menace de tarifs douaniers sur les automobiles allemandes ou l’imposition effective de taxes de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium en 2018 a fait redouter une guerre commerciale transatlantique . De telles mesures frappent de plein fouet l’industrie allemande (automobile, sidérurgie) tournée vers l’export, ainsi que l’ensemble de l’UE. Par effet domino, l’économie allemande, très ouverte, a souffert du ralentissement du commerce mondial et des tensions commerciales initiées par Washington – contribuant au ralentissement de la croissance allemande à +1,5% en 2018, puis à seulement +0,5% attendu en 2019 . En matière énergétique et climatique, le retrait américain de l’Accord de Paris et le soutien affiché de Trump aux énergies fossiles contrarient les efforts de l’Allemagne dans la lutte contre le changement climatique. Berlin craint également les sanctions américaines liées à la politique de Trump vis-à-vis de la Russie (par exemple d’éventuelles sanctions sur le gazoduc Nord Stream 2, projet important
pour l’approvisionnement énergétique allemand). Enfin, sur le plan géopolitique, le ton conciliant de Trump envers Moscou et ses critiques de l’UE (il a salué le Brexit et qualifié l’UE d’instrument au service de l’Allemagne) menacent la cohésion européenne que l’Allemagne s’évertue à préserver. En somme, la politique « America First » de Trump – qu’il s’agisse du commerce, de la défense ou du climat – a mis l’Allemagne et l’Europe face à un partenaire américain imprévisible et moins engagé, rendant l’environnement stratégique plus incertain .
Réactions de l’Allemagne et de l’Union européenne : Face à ces bouleversements, l’Allemagne et ses partenaires européens ont affiché une réaction à la fois de fermeté et d’affirmation de l’autonomie européenne. Dès janvier 2017, le président du Conseil européen Donald Tusk a osé placer les États-Unis de Trump au rang des « menaces » pour l’Europe, aux côtés de la Chine, de la Russie et du terrorisme islamiste . Ce constat inédit traduit le choc provoqué par la nouvelle administration américaine à Bruxelles comme à Berlin. Angela Merkel, traditionnellement atlantiste, a elle aussi durci le ton après des rencontres décevantes avec Trump : en mai 2017, constatant l’attitude du président américain au G7 et à l’OTAN (refus d’endosser l’accord de Paris, critiques acerbes), elle déclare que « les temps où [l’Europe] pouvait totalement compter sur d’autres sont en partie révolus » et exhorte les Européens à « prendre [leur] destin en main » . Concrètement, Berlin et Paris ont redoublé d’efforts pour renforcer l’Union européenne dans les domaines stratégiques. Sur le plan commercial, l’UE a répliqué aux mesures de Trump : lorsque Washington a appliqué ses tarifs sur l’acier et l’aluminium, Bruxelles a imposé en retour des droits de douane sur 2,8 milliards d’euros de produits américains emblématiques (motos, bourbon, etc.), affichant son unité . Sur le plan diplomatique, l’Allemagne et la France ont réaffirmé leur attachement aux accords internationaux que Trump a abandonnés, qu’il s’agisse du climat (initiative “Make our planet great again” de la France, leadership de l’UE sur la COP21) ou du nucléaire iranien (tentatives européennes de sauver l’accord de 2015 après le retrait américain de 2018). En matière de défense, l’Europe a lancé d’importantes initiatives pour gagner en autonomie stratégique : en 2017, 25 pays de l’UE, dont l’Allemagne, ont lancé la Coopération structurée permanente (PESCO) afin de développer en commun des capacités militaires et de « renforcer la politique de défense » européenne . Parallèlement, l’Allemagne a consenti à accroître progressivement son budget militaire et à s’impliquer davantage dans les missions de l’OTAN et de l’UE (présence renforcée en Europe de l’Est, interventions au Mali, etc.), même si cet effort reste modéré comparé à l’exigence américaine de 2% du PIB. Enfin, sur le plan politique, Berlin et Paris ont cherché à préserver l’unité européenne face aux tentatives de Trump de diviser pour mieux négocier (par exemple, en évitant que certains pays ne cèdent individuellement aux sirènes protectionnistes américaines). Globalement, l’ère Trump a agi comme un catalyseur pour l’Europe : l’Allemagne, en particulier, a pris conscience de la nécessité de diversifier ses partenariats et de « devenir plus européenne » dans son action extérieure , tout en maintenant autant que possible le lien transatlantique. Cette réorientation s’est faite en étroite concertation avec l’Union européenne, dont les dirigeants ont souligné que l’alliance avec Washington ne pouvait plus être tenue pour acquise et que l’UE devait défendre ses intérêts de manière plus proactive.
Le nouveau gouvernement allemand et ses orientations
Chancelier et coalition au pouvoir : À la suite des élections fédérales de septembre 2017, l’Allemagne s’est dotée d’un nouveau gouvernement de « grande coalition » en
mars 2018. La chancelière Angela Merkel a entamé ainsi son quatrième mandat consécutif, s’appuyant sur une alliance renouvelée entre son bloc conservateur (CDU/CSU) et le Parti social-démocrate (SPD) . Ce tandem CDU/CSU-SPD, bien qu’issu d’un scrutin difficile (les deux grands partis ayant reculé), dispose d’une confortable majorité au Bundestag. Le contrat de coalition signé s’intitule « Un nouveau départ pour l’Europe. Une nouvelle dynamique pour l’Allemagne. Une nouvelle cohésion pour notre pays »– un titre révélateur des priorités affichées du gouvernement . À sa tête, Angela Merkel demeure le visage de la stabilité, mais elle s’entoure de nouveaux ministres clés issus du SPD (notamment aux Affaires étrangères et aux Finances, portefeuilles confiés respectivement à Heiko Maas et Olaf Scholz à l’époque). Cette répartition illustre la volonté d’équilibre entre conservateurs et sociaux-démocrates pour aborder les grands chantiers à venir.
Orientations économiques, énergétiques et militaires : Le programme du nouveau gouvernement allemand se veut à la fois dans la continuité et marqué par quelques inflexions stratégiques. Sur le plan économique, la coalition maintient le cap d’une gestion rigoureuse et pro-business, tout en reconnaissant la nécessité d’investir pour l’avenir. L’objectif affiché est d’atteindre le plein emploi et de préparer l’économie aux défis du numérique. Le contrat de coalition insiste sur la numérisation de l’industrie et l’innovation, tout en promettant de soutenir davantage les régions en difficulté pour réduire les déséquilibres internes. Berlin reste attaché au libre-échange et rejette clairement le protectionnisme qui gagne du terrain ailleurs : « L’Allemagne restera un site ouvert aux investissements mais nous veillerons à une concurrence équitable », affirmant son soutien à un commerce mondial libre et équitable . Concrètement, cela se traduit par la promotion de nouveaux accords commerciaux – multilatéraux ou bilatéraux – notamment avec l’Asie et l’Amérique latine , afin de diversifier les débouchés et réduire la dépendance vis-à-vis du marché américain. Sur le plan énergétique, le gouvernement confirme la poursuite de la transition énergétique(Energiewende). L’Allemagne vise à devenir “l’économie la plus efficiente au niveau énergétique dans le monde” selon le texte de coalition . Cela implique de massifs investissements dans les énergies renouvelables, la poursuite de la sortie progressive du charbon (programmée d’ici 2038) et la fin définitive du nucléaire d’ici 2022. Les premières mesures du gouvernement Scholz (puisque depuis fin 2021, Olaf Scholz a succédé à Merkel) prolongent cet engagement, avec par exemple une accélération du déploiement des infrastructures pour les véhicules électriques et un soutien accru aux technologies vertes. Sur le plan militaire et diplomatique, la grande coalition adopte une ligne pragmatique : elle réaffirme l’attachement indéfectible de l’Allemagne à l’OTAN tout en soutenant le renforcement de la défense européenne. La phrase-clé du contrat de coalition – « Nous voulons rester transatlantiques et devenir plus européens » – résume cette double orientation . En pratique, l’Allemagne s’engage à assumer plus de responsabilités internationales : maintien des troupes allemandes dans les missions extérieures (Mali, Irak…), participation active à la présence avancée de l’OTAN en Europe de l’Est pour dissuader toute agression, et appui aux initiatives de défense européennes (telles que PESCO ou les projets d’armement franco-allemands). Si le gouvernement ne promet pas d’atteindre immédiatement les 2% du PIB de dépenses militaires réclamés par l’OTAN, il planifie des hausses budgétaires graduelles de la Bundeswehr. Par ailleurs, Berlin met l’accent sur le renforcement des capacités civilo- militaires européennes et la coopération en matière d’armement (par exemple, le développement conjoint avec la France d’un futur avion de combat européen ou d’un char de nouvelle génération, afin de gagner en autonomie stratégique).
Gestion des défis internes et européens : Le nouveau gouvernement Merkel (2018) – puis, par la suite, l’administration Scholz à partir de fin 2021 – doit faire face à des défis de taille tant sur le plan intérieur qu’européen, et a affiché ses priorités pour y répondre. En interne, la montée de l’extrême droite constitue une préoccupation majeure : pour la première fois depuis l’après-guerre, un parti nationaliste, l’AfD, a fait une entrée fracassante au Bundestag avec 12,6% des voix en 2017 . Merkel et sa coalition ont réagi en tentant de reprendre l’initiative sur les thèmes qui ont nourri le vote protestataire. Sur la politique migratoire, largement exploitée par l’AfD, le gouvernement a trouvé un difficile compromis : tout en réaffirmant le droit d’asile fondamental, il a décidé
de limiter l’accueil des réfugiés à environ 200 000 par an , instaurant ainsi un garde- fou numérique à sa politique d’ouverture de 2015. Cette mesure, symbolique, vise à rassurer une partie de l’opinion inquiète, tout en évitant de renier les engagements humanitaires de l’Allemagne. Parallèlement, la coalition prépare une loi sur l’immigration visant à attirerdes travailleurs étrangers qualifiés pour répondre aux besoins de l’économie – une manière de montrer qu’immigration peut rimer avec atout, si elle est maîtrisée. En Europe, Berlin plaide pour une solution collective à la crise migratoire : le gouvernement milite pour une réforme du règlement de Dublin et la mise en place d’un système européen de répartition des demandeurs d’asile , afin de soulager les pays en première ligne et de mieux gérer les flux à l’échelle de l’UE. Sur le plan économique, face aux signes de ralentissement apparus en 2018-2019 (moindre croissance, interrogations sur le modèle exportateur), le gouvernement a légèrement infléchi son dogme de rigueur budgétaire. Si l’orthodoxie financière reste forte, on observe un débat en Allemagne sur l’opportunité d’investir davantage dans les infrastructures, la R&D et l’éducation pour soutenir la croissance à long terme. Certains économistes appellent Berlin à profiter de ses excédents pour investir, d’autant que le PIB allemand stagne (seulement +0,5% prévu en 2019) . En réponse, la coalition a commencé à adopter des mesures de relance ciblées (allègements fiscaux pour les ménages, hausse des dépenses d’équipement, plan pour le numérique et les télécoms) tout en conservant une marge de manœuvre en cas de choc extérieur. Sur le plan européen, le nouveau gouvernement a immédiatement tendu la main au président français Emmanuel Macron, qui avait formulé de grandes propositions de refondation de l’UE (discours de la Sorbonne, 2017). Berlin et Paris ont affiché leur volonté de coopération renforcée : Merkel s’est dite prête à des compromis sur la réforme de la zone euro (par exemple, la transformation du Mécanisme européen de stabilité en un Fonds monétaire européen, et la création d’un budget de la zone euro limité) . Ensemble, les deux pays ont présenté un front uni sur les réformes européennes lors du sommet de juin 2018, conscients que « la zone euro n’est pas encore suffisamment à l’abri des crises » . Néanmoins, le gouvernement allemand demeure attentif à ne pas braquer son opinion publique sur ces sujets : des voix, y compris au sein de la CDU/CSU, s’inquiètent des projets de solidarité financière qui pourraient être coûteux pour le contribuable allemand . Merkel a donc adopté une approche prudente,
prônant “l’esprit de compromis” avec Paris tout en s’assurant que les principes de responsabilité budgétaire soient respectés . Sur d’autres dossiers européens, Berlin s’aligne étroitement avec Paris : lutte contre le dumping fiscal et social en Europe, taxation des géants du numérique, et bien sûr défense commune (avec le lancement en 2018 de l’Initiative européenne d’intervention à l’initiative de Macron, à laquelle l’Allemagne a adhéré). La relation avec la France est ainsi conçue comme le moteur indispensable pour relever les défis de l’UE : qu’il s’agisse de gérer le Brexit, de contenir les mouvements populistes en Europe centrale, ou de relancer l’intégration, le tandem
franco-allemand se veut à la hauteur. En témoignent la signature du Traité d’Aix-la- Chapelle en janvier 2019, qui approfondit la coopération bilatérale (défense, diplomatie, économie), et la création d’une Assemblée parlementaire franco-allemande. Ces initiatives illustrent la stratégie du nouveau gouvernement allemand : resserrer les rangs avec les partenaires européens de même sensibilité pour porter des solutions communes, et ainsi répondre aux crises internes (économiques, migratoires, politiques) par plus d’unité et de cohésion, plutôt que par le repli.
Perspectives stratégiques et ajustements en cours
Adaptation de la politique allemande aux nouvelles dynamiques internationales
: Confrontée à l’« ère Trump » et à un environnement mondial volatil, l’Allemagne a progressivement ajusté sa stratégie pour défendre ses intérêts. La première réaction de Berlin a été de réaffirmer son ancrage européen comme multiplicateur de puissance dans le monde. Le ton ayant été donné par Angela Merkel – « prendre notre destin en main » – l’Allemagne œuvre, avec l’UE, à réduire sa dépendance vis-à-vis d’alliés moins prévisibles. Concrètement, cela passe par une diversification de ses partenariats économiques et diplomatiques : par exemple, intensifier les relations commerciales avec l’Asie (accords de libre-échange UE-Japon, UE-Vietnam, etc., pour compenser le protectionnisme américain), et dialoguer plus activement avec des puissances émergentes (Chine, Inde) sur les enjeux climatiques et commerciaux. Sur le plan géopolitique, l’Allemagne soutient pleinement le concept d’« autonomie stratégique européenne » – même si Berlin préfère souvent parler de “complémentarité” avec l’OTAN pour ménager les États-Unis. L’idée est que l’Europe, y compris sur le plan militaire, puisse agir de manière plus indépendante si nécessaire. Dans cet esprit, l’Allemagne investit dans les nouvelles coopérations de défense européennes (PESCO, projets franco-allemands) et a même initié, avec la France, une « Alliance pour le multilatéralisme » sur la scène internationale, pour défendre les institutions et règles globales mises à mal par l’unilatéralisme américain. Par ailleurs, les chocs des dernières années (Trump, mais aussi la pandémie de Covid-19 et plus récemment la guerre en Ukraine) ont incité l’Allemagne à opérer un tournant historique connu sous le nom
de Zeitenwende (changement d’époque) – un terme employé par le chancelier Olaf Scholz en 2022, marquant l’acceptation de dépenses militaires massives et d’une posture de politique étrangère plus affirmée. Ce changement s’inscrit dans la continuité des ajustements amorcés durant la période Trump : davantage investir dans la défense, garantir la sécurité énergétique en évitant les dépendances excessives (la crise russo-ukrainienne l’a tragiquement rappelé), et sécuriser les chaînes d’approvisionnement critiques en diversifiant les sources. En somme, l’Allemagne ajuste sa politique étrangère en renforçant ses filets de sécurité européens (défense commune, politique énergétique coordonnée, plan de relance économique post-Covid au niveau de l’UE) afin de ne plus jamais se retrouver aussi vulnérable face aux revirements de la politique américaine ou aux autres aléas internationaux.
Scénarios envisageables pour la coopération avec la France et l’UE : Dans ce contexte de recomposition stratégique, le tandem franco-allemand reste le pilier de l’action européenne, mais son efficacité dépendra de la capacité des deux pays à surmonter leurs divergences. Un scénario optimiste mise sur une convergence accrue entre Paris et Berlin : face aux défis communs (menaces russes, concurrence chinoise, défis climatiques et numériques), la France et l’Allemagne pourraient renforcer encore leur coordination et entraîner l’UE dans des réformes ambitieuses. Cela se
traduirait par exemple par la mise en place effective d’un budget de la zone euro (même modeste) pour aider à stabiliser les économies en cas de choc, par des avancées vers une union de l’énergie (achats communs de gaz, développement de l’hydrogène vert) et une Europe de la défense opérationnelle (quartier général européen, capacités militaires partagées). La coopération franco-allemande pourrait également innover dans de nouveaux domaines : une stratégie industrielle européenne pour les technologies du futur (batteries, microprocesseurs, intelligence artificielle) afin de réduire la dépendance envers les États-Unis et la Chine, ou encore un front commun sur la réforme de l’OMC pour défendre le libre-échange tout en permettant de contrer les pratiques déloyales. Dans ce scénario, l’Allemagne s’appuierait fortement sur l’UE et le partenariat avec la France pour amplifier sa voix : « il est grand temps pour des initiatives de politique étrangère franco-allemandes », soulignaient des experts en 2018, compte tenu de l’instabilité actuelle et des incertitudes sur le rôle international des États-Unis . Le fait qu’un nouveau gouvernement allemand soit désormais en place (que ce soit la grande coalition de 2018 ou la coalition “feu tricolore” de 2021 avec Scholz) ouvre une fenêtre d’opportunité pour de nouvelles actions conjointes au cœur de l’UE, tant que Paris et Berlin parviennent à combiner leurs atouts . À l’horizon, on peut imaginer une relance du moteur franco-allemand aboutissant, d’ici quelques années, à une Europe plus intégrée politiquement (par exemple via une coopération renforcée en matière migratoire, fiscale et diplomatique), qui serait mieux armée pour négocier d’égal à égal avec Washington quel que soit le locataire de la Maison-Blanche.
Cependant, un scénario plus réservé est également envisageable si les divergences persistent. Les différences de culture stratégique et de priorités entre la France et l’Allemagne pourraient freiner certains projets : par exemple, l’attentisme budgétaire allemand face aux ambitions françaises de solidarité financière, ou les réticences allemandes à l’égard d’interventions militaires extérieures plus robustes. Dans un tel cas, la coopération se ferait a minima – les deux pays continuant de coopérer, mais en privilégiant des avancées graduelles plutôt que des grands bonds intégrateurs. L’UE resterait alors dans une posture plus défensive, avançant à petits pas, tandis que chaque pays chercherait en parallèle à ménager ses intérêts nationaux (par exemple, l’Allemagne pourrait tenter de maintenir un lien économique fort avec la Chine ou la Russie, ce qui pourrait créer des désaccords avec Paris). Malgré ces écueils possibles, il est à noter que l’environnement extérieur (choc de la guerre en Ukraine, rivalité sino- américaine, etc.) agit comme un puissant catalyseur pour l’unité européenne –
souvent, les crises forcent l’Europe à se renforcer plutôt qu’à se diviser. Ainsi, même si le tandem franco-allemand connaît des moments de tension, les scénarios à long terme tendent vers un approfondissement de la coopération, car ni Berlin ni Paris n’ont intérêt à agir seuls dans le monde actuel. En définitive, l’Allemagne de l’ère post-Trump a pleinement conscience que son destin stratégique est lié à celui de l’Europe. Que ce soit par choix ou par nécessité, elle continuera d’ajuster son cap en fonction des alliances européennes, de la relation transatlantique et des grands équilibres internationaux, afin de minimiser les risques et de saisir les opportunités dans un contexte mondial en rapide évolution. Le pari de Berlin est clair : faire de l’Union européenne – en partenariat privilégié avec la France – le cadre d’action incontournable pour sa sécurité et sa prospérité, indépendamment des soubresauts politiques aux États-Unis ou ailleurs. C’est dans cette direction que convergent tous les ajustements stratégiques récents de l’Allemagne, et les prochaines années montreront dans quelle mesure ce pari sera réussi.