Quelle puissance militaire européenne sans les États-Unis ?

10 juin 2025

Cet entretien avec l’amiral Henry Schrick, ancien représentant militaire de la France auprès de l’OTAN et de l’UE (2020-2022), traite des enjeux actuels de l’Europe de la défense, notamment dans le contexte géopolitique marqué par l’agression russe en Ukraine et les doutes sur l’engagement américain.

1. L’Europe de la défense : contexte historique et situation actuelle

L’Europe de la défense a toujours existé sous diverses formes, dès le traité de Bruxelles (1948). Toutefois, les pays européens ont longtemps privilégié leur sécurité dans le cadre de l’OTAN sous leadership américain, par facilité politique et économique. Aujourd’hui, cette situation est remise en question, notamment depuis la présidence Trump et l’agression russe en Ukraine.

2. L’OTAN sans les États-Unis : possible ou non ?

Pour Schrick, l’OTAN sans les États-Unis ne serait plus vraiment l’OTAN. Même si les Européens disposent de mécanismes permettant l’utilisation autonome de moyens militaires dans le cadre de l’Alliance, l’absence du leadership américain remettrait en cause l’essence même de l’organisation. L’OTAN reste indispensable pour garantir l’interopérabilité (le « plug and play ») entre forces européennes.

3. Capacités militaires européennes réelles

Additionner simplement les soldats des pays européens ne suffit pas à évaluer leur force militaire réelle. Celle-ci dépend aussi des équipements disponibles, de l’entraînement, des capacités à se projeter rapidement (« mobilité militaire »), de l’interopérabilité entre pays et de la volonté politique d’engager les troupes. L’Allemagne, la France, la Pologne et l’Italie sont citées comme les principaux pays européens sur le plan militaire.

4. La Turquie : un acteur militaire-clé

La Turquie demeure un acteur crucial en raison de sa puissance militaire, de sa capacité industrielle de défense, et de sa position stratégique vis-à-vis de la mer Noire. Malgré les ambiguïtés politiques d’Erdogan, la Turquie reste centrale dans l’équilibre géopolitique régional.

5. Industrie européenne de défense

Les industries européennes d’armement se sont concentrées sur l’exportation, parfois au détriment de la capacité à équiper rapidement leurs propres armées. Certains pays européens achètent encore largement américain (ex. : avions F-35) par tradition et comme « assurance vie » stratégique auprès des États-Unis. Aujourd’hui, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Pologne et la Turquie cherchent à renforcer leur industrie de défense pour être moins dépendants.

6. Question de la dissuasion nucléaire européenne

Schrick juge intéressant mais difficilement réalisable en pratique l’idée d’étendre le parapluie nucléaire français ou britannique à toute l’UE. La décision d’emploi d’une arme nucléaire ne peut pas se prendre facilement à 27.

7. L’avenir de l’Europe de la défense

Selon Schrick, il existe actuellement un « moment européen » réel marqué par un regain d’efforts militaires collectifs (intégration de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN, amélioration de la mobilité militaire en Europe). Ce sursaut pourrait représenter une mauvaise nouvelle pour la Russie, à condition que l’Europe affiche une unité sans failles.

8. Enjeu crucial : les opinions publiques

Enfin, l’amiral souligne que la clé du succès pour la défense européenne résidera dans la capacité des opinions publiques à rester unies face aux tentatives de division, notamment par la Russie. C’est l’unité affichée dans la prise de décisions à 27 (UE) et à 32 (OTAN) qui déterminera la force réelle de l’Europe face à ses adversaires potentiels.