L’invité de David Abiker :
François Écalle, invité au micro de Radio classique le mercredi 23 avril 2025, le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes est revenu sur la situation économique de la France, et de son budget.
Il a passé une partie de sa carrière de haut fonctionnaire à plaider en faveur de la maîtrise des finances publiques. François Ecalle est l’invité de la matinale. Vous êtes conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Vous avez fondé l’association Finances publiques et économies et vous racontez dans ce livre très autobiographique à la fois votre carrière professionnelle mais aussi la capacité de la France à rétablir ses comptes publics en près de 45 ans de carrière, de travail, d’étude économique et de service de l’État.
Avez-vous compris pourquoi la France ne veut pas maîtriser ses grands équilibres financiers ? Alors, je crois qu’elle le veut quand même d’une certaine façon, c’est-à-dire quand on regarde les sondages ou quand on regarde ce que disent les pouvoirs, les hommes politiques, la plupart d’entre eux, pas tous mais la plupart d’entre eux vont quand même vous expliquer que ça serait bien de réduire le déficit, de reprendre le contrôle de la dette. Mais le problème, c’est qu’après, il y a aucun accord sur les solutions. Elle est comme la bonne du curé. Elle est comme la bonne du curé. Je voudrais bien mais je peux point voudrais bien mais je peux pas. C’est voilà entre voilà chacun a sa baguette magique. D’un côté ça va être il va falloir on tout tout peut être réglé en taxant les multinationales et en taxant les hyper riches. De l’autre côté ça va être tout est réglé en luttant contre la fraude ou en renvoyant tous les immigrés chez eux. Enfin voilà, on on en est un peu à ce stade malheureusement. Et donc et ça depuis en effet 40 ans 50 ans enfin depuis la France n’a pas connu de compte à l’équilibre depuis le début des années 70. On va reparler évidemment de ce livre autobiographique mais avant cela, François Bayrou a déclaré la semaine dernière pas assez de travail, trop de prélèvement. On prépare déjà le budget 2026, 40 milliards d’économie à trouver. Alors on cherche du côté des retraités, mais pas seulement. Vous avez des idées ? Alors, je pense qu’en fait il va falloir euh Oui, on a des idées. Bah, on a des dépenses publiques d’ailleurs d’abord qui sont les plus élevées pour le moment de de l’ECDE. Donc, il y a certainement des économies à faire sur les dépenses. On peut pas non plus augmenter beaucoup les prélèvements obligatoires parce que c’est pareil, quelle que soit la nature, impôt des impôts ou des cotisations sociales qu’on regarde, on est sur le podium ou au pied du podium. Donc il faut trouver des économies et il va falloir les trouver un peu partout parce que il suffit pas de trouver 40 milliards en réalité si on veut simplement stabiliser la dette publique en pourcentage du produit intérieur brut, elle va augmenter en euros. Euh c’est de l’ordre de 120 milliards qu’il faudrait trouver. Alors le calcul est approximatif, c’est peut-être 100, 120 mais en réalité c’est beaucoup plus. Alors pas sur une seule année bien sûr. Pourquoi c’est beaucoup plus ? Vous dites le le gouvernement annonce 40 milliards et vous vous dites enfin. Oui. Ben je ce que je dis oui parce que le gouvernement dit 40 milliards mais lui-même le dit d’ailleurs ça n’est que le début. Ça n’est que le début. Il va falloir les 100 parce que les 120 évidemment on va pas les faire sur une seule année. Donc c’est 40 peut-être cette année. Bon après tout on sait pas très bien comment il calcule ça. À mon avis c’est c’est moins c’est moins 40, c’est plutôt une trentaine. Mais on va faire il faut qu’on fasse déjà cette année en 2025 c’est 25 30 l’année prochaine il faudra encore faire 30 l’année suivante puis encore 30 l’année suivante et cetera en fait pendant 5 ans à peu près. Voilà. Donc c’est et et ça et c’est colossal. C’est un effort colossal et donc ça veut dire que tout le monde enfin il va falloir si tout le monde devra s’y mettre. Il va falloir prendre tous les grandes postes de dépenses publiques et sur chacun de ces grandes postes de dépenses faire des efforts. Il y a les grands postes de dépenses un/art des dépenses publiques, c’est les retraites. 20 % des dépenses publiques, c’est l’assurance maladie. 20 % un autre 20 % c’est les dépenses des collectivités locales et les dépenses de fonctionnement de l’État et de ses agences dont on vient de parler, c’est à peu près 12 %.
Voilà, donc vous voyez c’est et et donc c’est très difficile de faire des économies colossales sans toucher les dépenses sociales. Prenons l’exemple des agences. Les agences, on en parle beaucoup et notamment à droite depuis que Donald Trump s’en est pris lui-même aux agences aux États-Unis comme s’il y avait un effet de de reflet de modèle d’imitation. On a remis aussi en cause le rôle des agences de santé pendant la période de COVID, la bureaucratie de santé et cetera et cetera. Est-ce que c’est efficace d’aller taper les agences ? Alors, il faut d’abord dire que le le modèle administratif des agences, il n’est pas absurde. C’est le modèle des pays scandinaves, des pays anglo-saxons. C’est pour ça d’ailleurs qu’il y en a beaucoup aux États-Unis. C’est un modèle dans lequel le le les ministères se contentent de fixer des objectifs et disent à des à des responsables d’agence autonome leur dire bah voilà ce que vous avez à faire. Voilà quels sont vos objectifs, quels sont vos moyens et on va vous juger sur vos résultats. C’est pas absurde en soi. Donc il faut pas dire on va on va supprimer les agences uniquement pour ça. Après il faut avoir en tête aussi que bien sûr il y a beaucoup d’agences en France, il y en a sans doute trop. Il y a des petites agences, le créer une agence à de sens que si on peut faire quand même quelques économies d’échelle parce que il y a des coûts fixes de gestion qui bon voilà et et donc avoir beaucoup de petites agences c’est pas très utile mais les petites agences par définition ça coûte pas grand-chose. Donc si on les supprime, si on les fusionne, on va pas faire énormément d’économie. Les grosses agences les grosses agences la moitié des effectifs, c’est les universités et les trois principaux centres de recherche que sont le CRS, le CEA et l’INRA. Donc bien sûr, il y a des recherches qui sont pas forcément utiles. On peut sans doute faire des économies mais c’est pas évident parce que c’est plutôt des dépenses d’avenir. Dès qu’on rentre dans le vif du sujet des économies, c’est que quand on les prend une par une, on dit toujours « Ah oui, mais ça c’est marginal. Alors, on en prend une deuxième, ouais, mais alors là, c’est pas grand-chose » etc. etc. Et au final, on fait rien, y compris sur les petites économies. Alors, qu’est-ce qu’on peut faire si on fait rien sur les petites ? Comment faire sur les grosses ? Ah ben, il faut bah il faut faire deux.
Non, je crois je crois vraiment que pour arriver à faire cet effort colossal, il faut jouer sur tous les tableaux. C’est dire oui, il faut en effet faire des petites économies parce que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Donc oui, mais ça ne suffira pas. Il faut bien avoir en tête qu’il ne suffit pas de de réduire le train de vie de l’État ou de supprimer quelques agences. On va être obligé de de toucher aux dépenses sociales en histoire économique et là je me fais l’avocat du diable. Je me fais dépenser. Certains économistes disent « C’est parce que la France a un niveau de dépense publique élevé que dans les périodes de crise et bien les effets de ces crises sont plus amortis en France. » Est-ce que c’est vrai ? Oui, économiquement c’est vrai. Ça renvoie ce que les les économistes appellent les effets multiplicateurs quand un budget est un état un budget enfin des comptes publics, des dépenses publiques et des et des prélèvements obligatoires aussi très élevés. Ça permet d’amortir plus les crises. Mais en temps normal, ça peut être un obstacle aussi en revanche dire si on a des prélèvements obligatoires très élevé pour financer ces dépenses publiques, bah il y en a quand même une bonne partie en France qui pèse sur les entreprises et et quand on regarde uniquement les prélèvements sur les entreprises et même si on tient compte des aides qui leur sont versées, on voit qu’on est sur le podium au niveau européen et si on l’a au niveau européen, on l’ au niveau mondial. François Cal, vous parlez de l’Europe. J’aimerais que vous me disiez comment certains pays européens qu’on appelait les pays Cigales il y a pas si longtemps, il y a 7-8 ans, on parlait de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie comme de pays Cigale et on disait les pays du Nord sont très vertueux. Évidemment, on citait l’Allemagne et puis entre les deux, il y avait la France qui donnait des leçons à tout le monde. Comment ont-ils fait les pays du sud pour avoir de meilleurs résultats en matière de maîtrise de leurs dépenses publiques ? Mais malheureusement, il a fallu qu’on leur impose des réformes. Ils ont pas fait ça spontanément. Et c’est peut-être ce qui nous attend en France.
En 2011-212, le Portugal, l’Espagne, la Grèce ont connu une crise. Leurs créanciers ont commencé à avoir peur qu’il ne rembourse pas. Les taux d’intérêt sont montés en flèche. La Banque centrale européenne est intervenue mais en expliquant que elle il fallait qu’il fasse des réformes. Donc à leur ont été imposées. Donc ça a été très dur. Ça s’est traduit par des baisses des retraites, des baisses des salaires des fonctionnaires, des licenciements dans la fonction publique. Ça a été très dur mais ça marché. Donc c’est la peur, c’est la peur et la la contrainte qui fonctionnait. Le pistolet sur la temp. Mais pour revenir à ce que vous disiez sur le les effets multiplicateurs de voilà, il y a sur le moment ça ça a eu des effets très négatifs sur l’activité. Il y a eu une récession dans ces pays, le chômage a augmenté mais après progressivement dans la durée, ça s’est amélioré et aujourd’hui ils peuvent repartir sur de meilleures bases. Est-ce que la condition d’économie durable et d’un effort fait chaque année, c’est-à-dire on revient au 120 milliards que vous évoquiez tout à l’heure, la condition c’est quand même un peu de stabilité politique et des plans d’économie auxquels les gouvernements successifs se tiennent et dès qu’il y a des élections et en France on adore les élections euh bah en fait on gâche on remet en cause les bonnes résolutions prises 2 ou 3 ans auparavant.
Est-ce que le problème est pas politique avant tout ? Le problème est politique au sens d’ailleurs, moi je je raconte d’ailleurs dans mon livre que déjà dans les années 90, les gouvernements faisaient des des plans des programmations à moyen terme des finances publiques dans lesquelles bah évidemment le déficit public diminuait. Ces plans qu’on appelait des programmes de stabilité, des lois de programmation n’ont jamais été respectés parce que aucun gouvernement n’a annoncé, n’a expliqué comment il allait faire pour maîtriser les dépenses publiques, pour les réduire, faire des économies parce que politiquement ça ne marche pas. un un gouvernement qui voudrait annoncer ses mesures et ben perdrait les élections suivantes. Euh et donc derrière, c’est pas seulement en fait la volonté politique qui pose problème, c’est le c’est l’opinion. Euh l’opinion pour le moment aujourd’hui n’est pas prêt à faire à faire ce genre de sacrifice.
Je voudrais qu’on parle de volontarisme et qu’on évalue et que vous nous parliez du volontarisme de Donald Trump et de son équipe. On a appris dans la nuit que Elon Musk allait renoncer à la chasse aux économies, en tout cas au sein de l’État fédéral et s’occuper de ses voitures. Il en vend moins. Quel regard portez-vous sur la la méthode pour aller chercher des économies de Donald Trump ? Évidemment, en France, c’est diabolisé, c’est la mauvaise méthode. Elle ne peut créer que de la misère sociale et mettre les chercheurs dans la rue. Un peu plus d’objectivité ou en tout cas encore se faire l’avocat du diable. Est-ce que ça peut marcher d’y aller à la tronçonneuse ? Non, je pense la tronçonneuse est une très mauvaise méthode. On coupe à l’aveugle et donc ils vont couper, ils vont licencier des fonctionnaires qui sont en réalité très utile donc c’est sur la base de critères absurdes. Donc c’est absurde. La la bonne méthode d’un point de vue académique c’est d’évaluer les dépenses publiques, de voir leur efficacité et cetera. C’est vrai que c’est compliqué. Finalement, souvent on ne fait rien parce que ces évaluations demandent beaucoup de temps, sont jamais totalement conclusives et donc parfois il faut employer une autre méthode alors qu’on préfère en France à la tronçonneuse qui est le rabot dans la la panoplie des outils du budgétaire mais qui conduit qui consiste à réduire à dire à tous les ministères par exemple bon l’année prochaine vous allez réduire vos crédits de 1 % ou 2 % c’est pas la tronçonneuse c’est pas 50 % mais c’est un petit peu voilà et puis vous allez parfois c’est ça marche. C’est-à-dire que bien souvent bah ce sont les gestionnaires de budget qui savent où on peut faire des économies. Si on leur dit 1 % de moins l’année prochaine, ils y arrivent.
François Écalle, le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, fondateur de l’association économie et finances publiques. Vous êtes en train de me dire que tout ce qui est simple est faux, on est chez Trump et que tout ce qui est compliqué est inapplicable, on est chez nous. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Ben je je crains malheureusement et en effet qu’on ne fasse pas grand-chose et que moi je je pense que le la dette publique française va continuer à augmenter jusqu’à une crise comme celle qu’on connu ces pays méditerranéens dont on a parlé. Nécessité fait loi.
Citez-moi trois décisions de l’État qui ont permis ces dernières années de mieux gérer les finances publiques de la France tout de même pour faire finir sur une sur une note qui mettra en valeur votre expérience de 45 ans racontée dans ce livre Mes comptes publics. Je pense qu’il y a une réforme très importante qui est encore aujourd’hui toujours sur la sellette 2023, c’est la réforme des retraites. Je pense que alors on peut discuter des modalités, savoir s’il faut jouer sur l’âge minimal ou la durée de cotisation pour avoir le taux plein, mais une réforme incitant les Français à partir en retraite, c’est essentiel parce que en effet, on l’a dit tout à l’heure, on a besoin d’avoir un taux d’emploi plus élevé. Et il y a une deuxième réforme qui est un peu du même genre d’ailleurs parce que ça conduit aussi à avoir un taux d’emploi plus élevé, c’est la réforme de l’assurance chômage. On a pris des mesures alors par palier par successivement mais des mesures en matière d’indemnisation du chômage qui on le voit, il y a des évaluations maintenant qui montrent qu’elles permettent aux gens de partir plus tôt.
Allez lire « Mécomptes publics », le livre autobiographique de François Écalle : 40 ans de de carrière dans la fonction publique, jamais de cabinet ministériel, toujours dans la proposition et l’étude pour améliorer l’efficacité de l’État et il y a eu des améliorations. À bientôt, François Écalle, le livre est paru chez Audile Jacob.