Et si la France et l’Allemagne parlaient enfin aux citoyens ? – par Antoine Santoni

22 mai 2025
Le Conseil indépendant franco-allemand pour la prospective et la stratégie (CIFAPS) : un nouvel outil pour rendre la coopération franco-allemande intelligible, transparente et légitime aux yeux des citoyens. Une idée dont les présidents français et allemand pourraient tirer un héritage historique
par Antoine Santoni, Président de l’IERAS

 

Dans la relation franco-allemande, les institutions abondent, mais l’efficacité politique et la confiance citoyenne se dérobent. Une trentaine de conseils, comités et organismes œuvrent au quotidien au rapprochement des deux nations, qu’il s’agisse du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) auquel s’ajoute depuis hier un Conseil de défense et de sécurité franco-allemand qui se réunira régulièrement pour apporter des réponses opérationnelles aux défis stratégiques communs, du Conseil économique et financier franco-allemand (CEFFA) pour les politiques économiques, du Conseil Franco-allemand de l’Environnement (CFAE) ou encore du Haut Conseil Culturel Franco-Allemand (HCCFA) pour les échanges culturels entre autres. Pourtant, leur action reste largement méconnue du grand public, perdu dans un enchevêtrement technocratique sans véritable communication.

Que de conseils pour quelles réformes et quel avenir de l’Europe face à un partenaire américain désengagé, voire ouvertement hostile à l’idée d’une souveraineté européenne ? Le véritable obstacle aux réformes structurelles en France comme en Allemagne n’est pas tant d’ordre politique qu’issu d’une résistance sociétale profonde. Les majorités politiques, bien que fragiles disposent malgré tout des leviers institutionnels nécessaires pour engager des réformes ambitieuses. Toutefois, ce sont les opinions publiques, attachées à des acquis sociaux, fiscaux ou économiques, qui freinent leur mise en œuvre.

Qu’il s’agisse de réforme des retraites, de la fiscalité, de la transition énergétique ou de la dépense publique et/ou militaire, les efforts requis sont perçus comme des sacrifices immédiats au nom de bénéfices futurs incertains. Ce manque d’acceptabilité sociale rend les gouvernements frileux, nourrissant ainsi un cercle vicieux : sans consensus populaire, pas de réforme durable ; sans réforme, pas de résilience stratégique. Ainsi, le cœur du problème est moins politique que culturel : il s’agit de convaincre les sociétés qu’adapter aujourd’hui, c’est préserver demain.

 » Tandis que les politiques publiques peinent à gagner l’adhésion populaire, les électeurs s’en détournent ou expriment leur désapprobation par des votes de rejet « 

Sachverständigenrat. La conséquence est claire : une défiance citoyenne croissante. Tandis que les politiques publiques peinent à gagner l’adhésion populaire, les électeurs s’en détournent ou expriment leur désapprobation par des votes de rejet. Les citoyens ne comprennent pas les réformes qui s’accumulent et les décisions qui s’imposent à eux. En France, la seule Cour des comptes jouit d’une notoriété incontestable ; en Allemagne, c’est le « Conseil des cinq sages » (Sachverständigenrat) qui retient l’attention et oblige le gouvernement fédéral à répondre au rapport annuel endéans huit semaines. Partout ailleurs, les conseils et comités travaillent dans l’ombre, loin des préoccupations des citoyens qu’ils prétendent servir.

Pourtant, l’enjeu est d’une importance capitale. Les défis de la souveraineté européenne, qu’il s’agisse de la transition énergétique, de la sécurité commune, ou encore de la compétitivité économique, ne sauraient être surmontés sans une acceptabilité sociale forte. Pour y parvenir, il ne suffit pas de multiplier les instances, encore faut-il qu’elles soient comprises, suivies et légitimes aux yeux des citoyens. Il est donc temps de repenser notre manière de concevoir la gouvernance franco-allemande.

C’est pourquoi nous proposons la création d’un Conseil indépendant franco-allemand pour la prospective et la stratégie (CIFAPS). Parrainé par les chefs d’Etat français et allemand, le CIFAPS ne serait pas une structure technocratique supplémentaire, mais un organe indépendant, transparent et profondément connecté au débat public. Il aurait un mandat clair : expliquer, analyser et anticiper les grands enjeux européens, tout en rendant compte de manière intelligible des réformes proposées ou en cours.

Trois caractéristiques essentielles pour un impact durable

• Une visibilité médiatique forte : avec un porte-parole bilingue qui s’exprimerait régulièrement dans les médias des deux pays, le CIFAPS deviendrait la voix de la raison et de la pédagogie dans le débat public.

• Une totale indépendance : ses membres, choisis parmi des personnalités respectées de la société civile, des experts reconnus et des anciens dirigeants, bénéficieraient d’un statut de garantie contre toute interférence politique.

• Une mission exclusivement prospective : loin des arbitrages politiques du quotidien, le CIFAPS se consacrerait à l’analyse des grandes tendances et à l’anticipation des défis à venir, qu’ils soient économiques, environnementaux, géopolitiques ou sociétaux.

« Le Conseil aurait aussi pour rôle implicite de rééquilibrer les débats européens, en apportant une expertise basée sur la réalité économique et stratégique des États, complémentaire aux analyses juridiques souvent privilégiées par la Commission européenne »

L’idée du CIFAPS n’est pas de concurrencer les conseils existants, mais de les compléter. Elle répond à une urgence démocratique : rendre la coopération franco-allemande plus transparente, plus compréhensible et, in fine, plus légitime aux yeux des citoyens. En offrant aux dirigeants français et allemands une plateforme de dialogue avec leurs peuples, elle constitue une opportunité unique de restaurer la confiance. Le Conseil pourrait s’étendre à terme à d’autres pays européens tels que l’Italie et la Pologne.

Le Conseil aurait aussi pour rôle implicite de rééquilibrer les débats européens, en apportant une expertise basée sur la réalité économique et stratégique des États, complémentaire aux analyses juridiques souvent privilégiées par la Commission européenne.

Un héritage historique pour les présidents français et allemand

Pour les chefs d’Etats français et allemand, parrainer la création du CIFAPS serait un geste de leadership historique. Ils y gagneraient non seulement une place dans l’histoire de l’amitié franco-allemande et de l’Europe, mais aussi un outil puissant pour légitimer et renforcer les politiques qu’ils porteront ensemble. En des temps de doute et de défiance, il est temps de prendre des décisions courageuses et de tracer un nouvel horizon de coopération.

Le Conseil Indépendant franco-allemand pour la Prospective et la Stratégie, est cette vision. Une vision d’un dialogue renouvelé, d’une pédagogie renforcée et d’une souveraineté européenne partagée, intelligible et assumée, qui passe avant tout par la communication.

Antoine Santoni, Président de l’Institut Européen de Recherche et d’Analyse Stratégique (IERAS) et lauréat du prix Edgar Faure de l’œuvre engagée (réédité en 2025).